La reformation des Libertines a eu lieu pour nous français mardi soir au Zénith de Paris. Pete Doherty, Carl Barât, Garry Powell et John Hassall n’ont (presque) pas pris une ride et ont offert deux heures de morceaux connus de tous les fans d’Up The Bracket et du second album éponyme. Un grand moment pour les nostalgiques de ce groupe culte des années 2000.
The Doors, Queen, The Beatles : trois groupes de rock mythiques que je n’aurai jamais la chance de voir. Les Morrison, Lennon et Mercury sont partis, personne ne revient d’entre les morts. Je ne croyais pas non plus que Pete Doherty ferait long feu. Il était pour moi impensable de voir un jour The Libertines sur scène, l’un de mes groupes favoris. Alors quand j’ai appris que la reformation n’était pas une utopie et que le quatuor londonien rejouait sur les scènes des gros festivals britanniques cet été, je me suis dit qu’il y avait bon espoir. C’est finalement arrivé au Zénith mardi soir. Et s’il restait des places en haut des gradins, la fosse paraissait pleine à craquer.
Après les sympatoches Cuckoolander et Deers Barn, le moment est venu. Il est un peu plus de 21H30 quand déjà une fausse angoisse s’abat sur la salle du Parc de la Villette : Pete, viendra, viendra pas ? À la traîne derrière ses camarades, il sort des coulisses, lui et son mètre 88, d’un pas nonchalant et s’empare d’une guitare. Tout le monde est rassuré. Dans la fosse, c’est comme au bon vieux temps : les verres de bière s’envolent, quelques vêtements aussi, une marrée humaine tangue de gauche à droite, des cris stridents retentissent… Sur scène par contre, il y a du changement : plus de cuire, plus de chemise débraillée ni de cravate. Pete a opté pour le chapeau depuis les Babyshambles ; Carl porte la tenue d’époque, la fameuse veste rouge des bobbies qu’il tombera assez vite ; Garry se présente avec une barbe blanchâtre et son fameux marcel blanc ; John, lui, a coupé ses cheveux mais a remis la veste en jean.
Pas le temps de s’échauffer, le coup d’envoi est violent : The Delaney, Campaign of Hate et Vertigo s’enchainent à toute allure. On retrouve immédiatement le son tranchant des guitares propre aux Libertines. John caresse les cordes de sa basse avec le calme olympien qu’on lui connaît tandis que Garry s’acharne déjà sur sa batterie. Il ne faut pas longtemps à Bilo et Biggles (Pete et Carl) pour s’accorder sur leur jeu de scène : partage de l’espace, du micro (switch de micro), même de la clope clouée sur le manche de la guitare de Carl… les bonnes vieilles habitudes. Les « stylish kids in the riot » ont encore tant d’énergie à revendre.
Côté setlist, c’est mathématiquement très simple : les Libertines ont sorti deux albums qui comprennent à eux deux 28 titres. Le groupe en joue 25, avec singles, reprises et nouvelles compositions, comme cette jolie chanson en acoustique de Carl seul sur scène. Sur The Ha Ha Wall, Garry laisse parler sa puissance en frappant comme un sourd, Pete et Carl chantent chacun leur tour un couplet, John fait tranquillement sauter ses doigts sur sa basse. L’écran géant au dessus du groupe dévoile des images du live qui alternent des photos des années Libertines. À la fin du morceau, Pete manquera de peu d’attraper un saucisson lancé depuis le public.
« Vive le saucisson ! »
L’ambiance tout comme le groupe monte crescendo. On sent que le meilleur reste toujours à venir. The Boy Looked At Johnny, Boys In The Band (ou « Les Garçons Dans Le Groupe ») et Can’t Stand Me Now font ressortir toute la rage punk-rock alors que What Katie Did, The Good Old Days et Tell The King transpirent le romantisme et la face rêveur du groupe. On apprécie la technique de Barât sur Last Post On The Buggle, le délire et le chant de Doherty sur le passage solo à la gratte sèche de Fuck Forever et le duel ange et démon Hassall – Powell. Les bras de la fosse sont levés, les slams sont exécutés avec de superbes figures acrobatiques, les corps s’entrechoquent contre la barrière au pied de la scène. Chaos total.
Même si tous les titres sont sources de poussée de tension, certains font toujours l’effet d’un gros punch dans les dents comme Don’t Look Back Into The Sun ou What Became Of The Likely Lads, Pour le bouquet final, c’est d’abord John qui revient sur scène le premier. Il murmure un « bonsoir » avant de distribuer de l’eau au premier rang tel un bon samaritain. Les trois autres suivent bras dessus bras dessous sans se presser. Up The Bracket et What A Waster explosent le parterre et font trembler les gradins. Get Along, la chanson de fin chez The Libertines, se s’achève dans un joyeux bordel avec Pete sautant sur le dos de Carl provoquant sa chute, Garry s’empare du micro pour faire chanter la foule et John salue timidement d’un geste de la main.
Incroyable. Le groupe reste fidèle à lui-même après toutes ces années. Le jeu de scène, les petites impro même si on en veut toujours plus et surtout la sincérité et l’éclate qu’ils ressentent à jouer ensemble. On se rend compte que ces textes écrits dix ans auparavant étaient prémonitoires et prennent aujourd’hui plus de sens encore. Certes, Pete et Carl ne plongent plus dans la fosse et ne pètent plus ni micro ni guitare, mais on se conforte avec le fait qu’ils soient toujours aussi fou-fous et fusionnels. Il y a certainement moins de folie et de spontanéité mais ils restent d’excellents musiciens et déchainent toujours autant les foules. Espérons qu’ils ont remis la machine en marche pour de bon et seront encore capables de produire des albums aussi parfaits que leurs deux premiers.
Chronique : Romain Hemelka / Photos : Stéphane Burlot (http://www.sb-photographies.com/)