Interview avec Elliott Murphy
Véritable rock star pour ceux qui le connaissent, Elliott Murphy a démarré sa carrière il y a 40 ans, au même moment que Bruce Springsteen. Après quatre premiers albums exceptionnels, sur lesquels Elliott Murphy est accompagné de Phil Collins, Mick Taylor ou encore Billy Joel, Elliott Murphy fait moins parler de lui. Particulièrement actif depuis son arrivée à Paris en 1989, Elliott Murphy vient de sortir son nouvel album It Takes A Worried Man, l’une de ses meilleures œuvres des années 2000. Sans prétention, cet artiste joue aujourd’hui pour ses fans qui sont parmi les plus fidèles. Elliott Murphy nous a ouvert les portes de Murphyland, titre de l’une des chansons de son nouvel album, le temps d’un entretien, quelques minutes avant un show case parisien.
Rock’N Concert : Ton actualité est assez chargée. Comment expliques-tu ce regain de créativité ?
Elliott Murphy : Oui, je viens de faire paraître mon nouvel album It Takes A Worried Man, ainsi qu’un nouveau livre Marty May. Mais c’est un livre que j’ai écrit il y a très longtemps. On me pose très souvent la question, mais un album par an, c’est par si énorme que ça. Ça ne prend par tant de temps que ça. Je passe une large partie de mon temps en tournée, une centaine de dates par an, et me consacre donc à l’écriture de chansons dans les chambres d’hôtels. Et la logique veut que quand tu as fini d’écrire une chanson, tu l’enregistres et la joue en concert. C’est un cycle.
Rock’N Concert : Dans quel état d’esprit dois-tu te trouver pour écrire tes chansons ?
Elliott Murphy : La meilleure condition est d’avoir une guitare ou un piano à sa disposition. Mais il peut m’arriver d’avoir des idées en étant dans un taxi, même si je n’arrive pas à m’en souvenir la plupart du temps. Mais heureusement que j’ai un iPhone aujourd’hui. Les idées me viennent également tout juste avant de m’endormir. Mais là aussi, je ne note pas mes idées, je ne m’en souviens pas le lendemain. Je dis toujours que j’aimerais être la personne qui écrit mes chansons. Alors bien évidemment c’est moi qui les écris. Mais quand j’écris une chanson, je suis un être plus spirituel, plus fort et optimiste que dans la vie quotidienne.
Rock’N Concert : Je vais te poser la question une question assez banale, mais qui m’intéresse dans ton cas. Ecris-tu d’abord la musique ou les paroles ?
Elliott Murphy : (Rires). C’est certainement la question que l’on m’a le plus posé dans ma vie. Il est difficile d’y répondre. Ça change avec le temps. Plus jeune, les mots me venaient au même moment que la musique. Aujourd’hui, j’ai à ma disposition des carnets pleins de notes prises au fil des années pour écrire les paroles. Ecrire une chanson est proche de la construction d’une maison. On ajoute couche par couche la musique et les paroles.
Rock’N Concert : En écoutant It Takes A Worried Man, une vague d’optimisme et de d’espérance me pénètre.
Elliott Murphy : Il est intéressant de t’entendre dire que la musique est positive. Car la musique rock’n’roll est optimiste à la base grâce à l’énergie qu’elle déploie. Concernant les paroles, j’ai toujours la soif et la passion d’antan. Et c’est donc plein d’optimisme.
Rock’N Concert : Comment places-tu cet album dans ta discographie ?
Elliott Murphy : It Takes A Worried Man est certainement l’un de mes albums les mieux produits, aux côtés de Selling The Gold (1995), sur lequel chantait Bruce Springsteen. Il y a aussi Just A Story From America (1977) sur lequel j’étais accompagné de Phil Collins et de Mick Taylor. Ce sont là des albums bien produits. It Takes A Worried Man a la particularité d’avoir été produit artistiquement par mon fils Gaspar. Il avait déjà travaillé sur le précédent avec moi, même s’il était arrivé qu’en court de route. Pour It Takes A Worried Man, il était présent du début à la fin. Ma musique est pour lui comme ce que la neige est aux eskimos. Elle a toujours fait partie de sa vie. Il a fait un travail remarquable.
Rock’N Concert : Qu’en est-il du choix des chansons sur cet album ?
Elliott Murphy : Le choix des chansons s’est fait par tout hasard. A aucun moment je n’ai pensé que ces onze chansons étaient les meilleures que je n’avais jamais écrites. Au moment où j’avais rassemblé assez de chansons pour l’album, je sentais que quelque chose manquait. Je me suis dit que cet album nécessitait un titre pour l’ouvrir et pour le clore. It Takes A Worried Man est une chanson folk écrite dans les années 1930 et reprise dans les années 60 par Kingston Trio. Je me suis dit que cette chanson s’y apprêtait parfaitement. La dernière chanson, Even Steven, je l’ai écrite à New York avec Gaspar au piano.
Rock’N Concert : A l’époque actuelle des CD j’étais surpris de constater que l’album ne comportait que 39 minutes de musique. Y a-t-il une explication à cela ? Nous aurions adoré en entendre plus !
Elliott Murphy : Je viens d’une génération qui a grandi avec les vinyles. Et une quarantaine de minutes était le maximum que nous puissions faire. Je voulais rester dans cette logique. Je vais d’ailleurs sortir une version vinyle de cet album. J’ai pas mal d’albums sur lesquels se trouvent des titres qui n’auraient pas dû s’y trouver au final. Il y a des personnes qui décrochent à l’écoute d’un album après la 5ème chanson. Je voulais sortir un album qu’ils puissent écouter du début à la fin. Et la meilleure chose que tu puisses me dire c’est que tu voulais en entendre plus (rires).
Rock’N Concert : Il est devenu pratiquement impensable de ne pas te voir accompagné d’Olivier Durand sur scène. C’est un guitariste hors norme.
Elliott Murphy : Olivier Durand est le meilleur partenaire musicien que j’ai pu avoir à ce jour. Il a été capable très vite de se plonger dans ma musique intuitivement. Quand il me propose des arrangements vocaux ou à la guitare, j’ai comme l’impression de les avoir écrits moi-même. On en est arrivés à un point où l’on arrive à communiquer sur un plan musical sans pour autant avoir besoin d’échanger à l’aide de mots. Je l’appelle le Jimi Hendrix de la guitare acoustique.
Rock’N Concert : Parlons de ton livre Marty May. Au vu du sujet, ce livre semble être autobiographique.
Elliott Murphy : Marty May parle d’un monde que je connais très bien. Mais Marty May n’est pas moi. Il s’agit plus d’un guitar hero. Il vit à New York après avoir eu beaucoup de succès. Entre temps il a perdu ses repères. C’est un peu mon histoire. J’ai commencé à écrire ce livre en 1979. J’avais sorti quatre albums et me sentais un peu perdu à cette époque. C’est la première fois que ce livre paraît dans sa version intégrale en France.
Rock’N Concert : Tu as rejoint Paris en 1989 pour ne jamais la quitter. Qu’est-ce qui t’as attiré dans cette ville ?
Elliott Murphy : Je suis venu en Europe pour la première fois en 1971. C’était une expérience unique. Je jouais avec ma guitare dans la rue. En arrivant à Paris, je ne savais pas combien de temps je resterais. J’ai tout d’un expatrié qui se sent bien mieux chez lui que quand il n’y est pas. J’ai adoré la France dès le début. Ma carrière s’était déplacée des Etats-Unis en Europe à la fin des années 80. J’ai donc décidé de m’installer ici.
Rock’N Concert : Combien d’albums as-tu sorti à ce jour. Je n’arrive à trouver ce chiffre nulle part.
Elliott Murphy : C’est en effet très difficile à dire. J’ai sorti une collection d’albums avec des chansons jamais parues auparavant. J’ai également de nombreux enregistrements live (bootlegs) qui sont parus. Donc en additionnant tous ceux-là, on arrive à 45 albums. Pour différentes raisons, je définis It Takes A Worried Man comme étant mon 33ème album.
Rock’N Concert : Il est assez frustrant de ne pas pouvoir acheter tes premiers albums. Pourquoi ne pas les rééditer ?
Elliott Murphy : Je n’ai aucun pouvoir de contrôle sur mes quatre premiers albums. Mais une maison de disques australienne a pour l’intention de rééditer Aquashow, The Lost Generation et Night Lights. Just A Stroy From America doit également être réédité dans les prochains mois sur iTunes.
Rock’N Concert : Tes concerts sont pleins d’énergie. En a-t-il toujours été ainsi ?
Elliott Murphy : J’ai toujours été compositeur. Mais j’ai mis tu temps à devenir l’artiste sur scène que je suis aujourd’hui. Quand je jouais dans des groupes plus jeunes, je n’étais pas vraiment au-devant de la scène. A l’époque, je jouais plus pour convaincre des professionnels de l’industrie de la musique. Aujourd’hui je joue pour mes fans. Ce sont eux qui me donnent l’énergie sur scène.
Rock’N Concert : Tu dois avoir l’habitude de parler de ton amitié avec Bruce Springsteen. Peux-tu le décrire en quelques mots ?
Elliott Murphy : Bruce est quelqu’un qui est vraiment à l’écoute des gens. Quand tu lui parles, il se focalise sur toi. C’est quelqu’un de très occupé, alors c’est une vraie qualité. C’est une des personnes les plus talentueuses que je connaisse. Il est bon dans tellement de styles musicaux différents. Il est aussi bon dans l’écriture de chansons folk qu’il l’est dans l’interprétation de chansons de style R&B. Il arrive à créer une ambiance proche de celle d’un petit club dans un grand stade. C’est également un guitariste doué. Et c’est surtout une vraie encyclopédie. Si tu cites n’importe quel groupe à Bruce, il va te chanter le refrain de l’une de leurs chansons. Il connaît son métier sur bout des doigts.
Rock’N Concert : Je me souviens de t’avoir vu plusieurs fois aux côtés de Bruce sur scène en tant qu’invité. Tu t’es même retrouvé sur scène avec Bruce en compagnie de ton fils Gaspar.
Elliott Murphy : Oui, j’étais backstage au Parc des princes en 2008. Bruce m’a demandé si je souhaitais le rejoindre sur scène. Il m’a demandé ce que je voulais chanter avec lui. Je lui ai répondu que je ne savais pas. Il m’a proposé Born To Run. Je lui ai dit que je ne connaissais pas les accords. Gaspar, qui était à côté de moi, a dit qu’il savait la jouer. Bruce s’est montré surpris et a donc dit : « Tu vas monter la jouer sur scène avec moi ». Il y avait à peu près 60 000 personnes dans le stade. Je n’ai fait que regarder mon fils.
Rock’N Concert : Dans le dernier titre de ton album, Even Steven, tu dis “You tell me who my heroes are, no falling rock stars”. Quels sont tes héros aujourd’hui?
Elliott Murphy : Aujourd’hui je regarde plus la performance, celle de blues man comme Muddy Waters par exemple. Plus jeune, mes héros étaient des musiciens qui sont morts à 27 ans, Jimi Hendrix, Brian Jones, Janis Joplin… Je dis souvent qu’il ne reste que deux rock stars américaines à Paris : moi et Jim Morrison.
Rock’N Concert : Merci pour ce beau mot de la fin.
Photos et propos recueillis par Thorsten Wollek