Interview de Arjen Lucassen (Ayreon)
Seulement un an après la sortie de son premier album, le grand (dans tous les sens du terme) Arjen Lucassen nous a accordé un deuxième entretien à l’occasion de la sortie de The Theory Of Everything, le nouvel album de son projet fétiche Ayreon. Toujours aussi sympathique, Arjen s’est montré très bavard et a répondu à toutes nos questions.
R’N C : J’ai eu l’opportunité de t’interviewer à l’occasion de la sortie de ton album solo Lost In The New Real sorti l’année dernière. Quel regard jettes-tu sur cette expérience ?
Arjen Lucassen : Je suis extrêmement fier de cet album. Vraiment ! Même si la maison de disques n’était pas spécialement favorable à la sortie de cet album. Ils me disaient que les albums solos ne marchaient pas très bien généralement. C’est un album étrange, car il contient des chansons toutes aussi différentes les unes que les autres en terme d’ambiance et de style. L’album s’est finalement bien vendu.
R’N C : Alors que les albums que tu sors sous le nom de Ayreon contiennent une grande mixité de styles, Lost In The New Real rend davantage hommage à la musique des années 60.
AL : Pour mon album solo, je me suis davantage concentré sur les années soixante. Je me souviens encore quand j’ai découvert la musique des années soixante au cours des années 70. Il y avait tellement de groupes cools à cette époque-là. Sur le projet Ayreon, je peux me permettre de faire une chanson de style années 60 de temps en temps. C’est le cas de Come Back To Me sur l’album Human Equation par exemple. Sur mon album solo, j’ai eu la liberté de m’inspirer davantage de groupes comme les Beatles et les Kinks.
R’N C : Tu as déclaré ne vouloir revenir avec Ayreon qu’à condition de faire quelque chose de différent. Pourquoi ce besoin de changement ?
AL : Je pense que les choses se compliquaient trop. Sur le dernier album 01011001, l’histoire devenait trop complexe. Pour les gens qui ne connaissaient pas les premiers albums de Ayreon, ils ont eu plus de mal à suivre l’histoire. Certaines personnes prétendaient que je commençais à me répéter. J’ai donc décidé qu’il fallait changer certaines choses. Je raconte notamment un tout autre genre d’histoire. J’ai également travaillé avec de nouveaux chanteurs et musiciens. Cette fois-ci j’ai travaillé de manière différente lors des enregistrements. Auparavant je rentrais au studio avec des cassettes pleines d’idées et n’en retenait que les meilleures. Sur The Theory Of Everything je suis rentré en studio uniquement avec le thème musical principal (Ayreon me chante les notes), en laissant les choses venir de manière spontanée. Le disque a été composé et enregistré dans l’ordre chronologique de composition des titres. Au final je me retrouvais avec quatre morceaux d’une vingtaine de minutes, ce qui ne m’était jamais arrivé auparavant.
R’N C : Par contre, musicalement tu n’as pas changé grand-chose.
AL : Non, en effet. Pourtant, il répond au précédent album (The Human Equation), qui était très dense, de style musical plus industriel, avec pas moins de dix-sept chanteurs. Sur The Theory Of Everything, je me suis entouré uniquement de sept chanteurs, comme c’était le cas sur The Electric Castle. Il contient également d’avantages de passages instrumentaux. Il ne s’agit pas d’une histoire de type science-fiction, comme sur Human Equation. C’est finalement un mélange de ces deux albums cités, tant musicalement qu’au niveau des paroles.
R’N C : Avant d’entendre la musique de The Theory Of Everything, j’ai d’abord lu les paroles. Cette fois-ci, j’ai pu les lire de manière indépendante car il s’agit de vrais dialogues entre les personnages. Du coup, cela donne davantage l’impression d’un opéra rock.
AL : Je suis totalement d’accord avec toi. Sur cet album, je voulais que l’histoire et les personnages apparaissent de manière claire. Il m’est important que les auditeurs puissent suivre facilement le fil de l’histoire. Et à la différence de ce que l’on pourrait croire, il n’est pas plus facile d’écrire une histoire simple (rires).
R’N C : A quel moment as-tu décidé de travailler sur un nouvel album sous le nom de Ayreon ?
AL : Il le fallait tout simplement. Il s’agit de mon projet préféré car je peux tout me permettre sur ce projet. Je n’arrêterai jamais de publier des albums sous le nom de Ayreon. Je ne pense pas avoir le choix. La question n’était pas de savoir si j’allais le faire mais quand.
R’N C : C’est certainement pour cette raison que tu as décidé de faire évoluer ce projet.
AL : Parfaitement ! J’ai horreur de me répéter. C’est aussi ennuyeux pour moi que pour mes fans.
R’N C : Au sujet du livret et de l’importance du packaging, il ne me viendrait jamais à l’idée d’acheter l’un de tes albums en téléchargement. Penses-tu que cela peut pousser les gens à acheter l’album physique ?
AL : Je considère que mes fans savent à quoi s’attendre avec le packaging quand je sors un nouvel album : un beau livret et beaucoup de musique. Cette fois-ci, ils peuvent avoir jusqu’à quatre CDs. Le pack contient également un DVD avec de nombreux bonus, dont les images des enregistrements et de nombreuses interviews. Etant enfant, j’étais capable de ne pas acheter un album si les paroles n’étaient pas imprimées sur la pochette. Je suis donc conscient de l’importance du packaging lors de l’achat.
R’N C : N’est-il pas risqué de sortir un album composé de quatre longs morceaux à une époque où le marché de la musique est demandeur de tubes de 3 minutes ?
AL : Ca fait bien quinze ans que je n’essaye plus de faire de tubes (rires). Je suis de l’avis que cela n’a plus aucun rapport avec de la musique que de vouloir à tout prix sortir des tubes. Ce sont toujours les mêmes accords. Mon seul objectif est de raconter une histoire.
R’N C : En regardant la composition des chanteurs, j’ai remarqué parmi eux deux chanteurs dont je n’avais jamais entendu le nom auparavant.
AL : J’ai pour objectif de rendre le projet aussi éclectique que possible. Sur The Theory Of Everything tu constateras qu’il y a des musiciens qui ont joué un rôle important au cours des années 70 dans des groupes comme Genesis, Yes, King Crimson et Emerson, Lake & Palmer. J’ai également réuni des musiciens actuels de groupes connus et des chanteurs moins connus. Je recherche constamment de nouveaux talents à travers Internet. C’est super d’avoir la chance de les aider.
R’N C : Quelle surprise de découvrir que tu avais pu convaincre des musiciens cultes comme Rick Wakeman, Steve Hackett et Keith Emerson de venir se joindre à ton projet.
AL : Même si cela fait cliché, c’est bel et bien un rêve qui devient réalité. Auparavant je rêvais que Keith Emerson vienne jouer sur un de mes albums. Quand je me réveille maintenant, je peux dire que c’est bien arrivé. Plus jeune, j’achetais tous les albums de ces groupes de prog’. Si on m’avait dit à cette époque qu’ils viendraient jouer sur un de mes albums… J’ai essayé de les contacter depuis que j’ai démarré Ayreon. Mais je ne les ai pas intéressés car je n’étais pas connu à l’époque. Entre temps, j’ai un album qui s’est retrouvé dans les charts dans 17 pays. On me prend donc beaucoup plus au sérieux maintenant. Keith a écouté le titre Lost In The New Real tiré de mon album solo. Il a dit après ça : « Le gars qui a fait cela est incroyable ! ». C’est le plus gros compliment que j’ai pu recevoir.
R’N C : On compare Ayreon à Avantasia de temps à autre, même si je considère que Avantasia est de style plus hard. As-tu écouté le dernier album d’Avantasia ?
AL : Oui, je joue d’ailleurs de la guitare sur cet album. Pour tout vous dire, j’ai volé l’idée du livret à Tobias Sammet (rires). Il est magnifique. J’ai été surpris par la qualité de la musique et des chanteurs. Les refrains sont très accrocheurs chez Tobias. Ce n’est pas le cas sur mes albums. Il est rare que quelqu’un écoute un morceau et siffle l’air après. C’est un monde totalement différent de celui de Ayreon. Le seul point commun de ces deux projets est que nous racontons des histoires et invitons de nombreux chanteurs et musiciens. Heureusement d’ailleurs !
R’N C : Lors de notre précédente interview, tu disais écouter de nombreux albums en faisant ton jogging. Quels sont les derniers albums que tu as aimés ?
AL : Pas plus tard qu’hier, j’ai écouté le nouvel album de Jon Olivia « Raise The Curtain ». J’ai beaucoup aimé. Cela me rappelle un peu Alice Cooper dans les années 70. L’un de mes coups de cœur est également le nouvel album de Wisdom Of Crowds, le projet du chanteur du groupe Katatonia. J’écoute majoritairement des nouveautés. Je suis abonné à de nombreux magazines qui fournissent des samplers de nouveautés.
R’N C : Arjen, je te remercie pour ce second entretien mené avec toi.
Propos recueillis par Thorsten Wollek